Je suis allé voir Renefer, plaignez-moi, sept étages, et encore pas dans la vallée, non, à moitié chemin de Montmartre, près de cette mer sans cesse agitée qu’est la place Clichy; heureusement l’accueil qui est fait là-haut, vous remet d’aplomb, c’est d’abord un sourire, puis un bonjour qui vous fait chaud quand on a froid. On est tout de suite chez soi.
Je voudrais vous parler du graveur Renefer, puisque nous passons du XIXe siècle en plein XXe qui voit remettre en valeur l’art xylographique,heureusement conduit par une génération d’artistes tels que, Renefer, Clément Serveau, Paul Baudier, Paul Colin, Hermann, Rouquet, etc, qui ont remis à sa place exacte, la vraie forme d’illustration typographique. Mais avant de vous parler du graveur laissez-moi vous présenter l’homme.
Sans doute, vous vous attendez à voir un grand atelier, meublé d’un divan décoré lui-même d’un modèle, et le propriétaire, en larges pantalons, cheveux longs, aussi longs que la pipe. Non-, ce n’est pas ça du tout. Renefer est un artiste. On ne le voit pas à son physique, qui est celui du monsieur qui passe sans faire curieusement tourner les têtes, mais c’est un artiste tout de même, on le voit surtout à ses… productions. Chez lui vous êtes d’abord séduits par l’ordonnance de l’intérieur propre comme un sou neuf – là aussi il rompt la tradition – de belles toiles bien exposées dans des cadres discrets, et tout de suite, heureux de vous parler dessin, il s’anime et raconte, raconte sa vie ; sa vie, mon Dieu I elle a été ce que sont la plupart des vies d’artistes, incompris tout d’abord, ayant confiance quand même, les illusions s’ajoutant aux désillusions, et enfin les premiers travaux aux étalages, la collaboration à plusieurs journaux humoristiques et satiriques. Le Rire, Le Sourire, L’Assiette au Beurre, etc. ; il fait de l’œil à la Gloire qui passe et elle lui répond. Gustave Geffroy l’appelle « Le Chantre des rives de la Seine ». Renefer est un marin, à sa façon, et les berges de la Seine n’ont plus rien de caché pour lui. Tout ce qui travaille, tout ce qui remue, tout ce qui fume, l’attire, et automatiquement le crayon court sur le papier. Il ne dessine pas, il… photographie, mais ce qu’il photographie, ce n’est pas le personnage, ce n’est pas le bateau qui passe, c’est le mouvement. Non, ce n’est même plus de la photo… c’est du Cinéma.
Amoureux du document, il se rendit en Grèce pour illustrer un livre de Louis Bertrand, ce fut alors, dit son ami Georges Normandy, entre la Crèce et l’artiste un combat d’où certains soirs on voyait Renefer revenir exténué, mais je suis tranquille, j’ai pu me rendre compte que la Grèce s’est livrée toute entière, et toute son âme, est contenue dans des feuilles, comme des herbes détachées rapportées d’un lointain voyage, et qu’on ne regarde que rarement, mais très amoureusement ; et si vous voulez vous rendre compte que je dis vrai, prenez note de cette indiscrétion, un volume va paraître « Anthinéa » de Charles Maurras, où Renefer a laissé traîner son talent, j’ai vu ces feuilles où une petite gravure en noir met du soleil plein la page, j’ai vu ces gravures en couleur qui ont nécessité une vingtaine de bois pour chacune, et autant de tirages, et si Maurras a donné un corps bien vivant à ce livre,
on peut bien dire que Renefer lui a donné une âme ; et pourquoi ne prononcerai-je pas le nom de l’Editeur ? Monsieur Lapina, puisqu’il a été le doigt du Créateur qui a réuni ces deux valeurs. Je disais que Renefer est un marin à sa façon, oui à sa façon, car s’il aime peu aller sur la mer — je crois qu’il me l’a avoué — c’est la mer qui a déteint sur lui, et si vous le rencontrez un jour, demandez-lui donc — oh ! pas longtemps parce qu’il est pressé — demandez-lui donc de sortir de ses cartons, ils sont nombreux, quelques planches de croquis de là bas, vers Pont Labbé, et puis si vous êtes en veine, il vous montrera peut-être, son petit dernier, « Mon frère Yves » de Pierre Loti. Il l’a couvé plus de deux ans sous l’œil éclairé de Monsieur Ernest de Crauzat, près de deux cents gravures sur bois en noir, mais je vous en prie, ne mouillez pas votre doigt pour tourner les pages, vous seriez foudroyé ; après, mon Dieu, après, vous pourrez partir… vous aurez vu le Paradis.
Renefer a encore illustré bien des éditions, notamment les éditions populaires de A. Fayard : « Gaspard », La Gigale » etc, rappelons avec La Fée de Port Cros », également, les éditions de luxe : avec eaux-fortes composées dans la tranchée, pendant la guerre, pour « le Feu » de Barbusse ; « La Grèce du Soleil et des Paysages » de Louis Bertrand ; « La Maison du Péché » de Marcelle Tynaire ; « La Terre de Béarn » de Ch. de Gontheu avec de magnifiques lithographies ; etc..
Renefer comme peintre, graveur, illustrateur aux dons multiples, peut être placé en tête d’une époque.
CLAUDEL
2 commentaires
Gabrielle · 20 avril 2023 à 12 h 04 min
Merci pour cette mise en lumière de l’artiste Renefer si talentueux et qui a tant à dire. Gabrielle Thierry, Renefer.org.
PS : je vais aller lire l’article sur Clement-Serveau, un de ses nombreux amis graveurs 😉
Bois gravés pour les éditions populaires - DESSIN OU PEINTURE · 10 décembre 2022 à 12 h 42 min
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